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Les logiciels de conception de puces
Le gouvernement américain sort une nouvelle carte de son arsenal répressif face aux champions technologiques chinois : le blocage de l’export et l’utilisation des logiciels EDA. Des programmes essentiels pour concevoir les processeurs et qui sont majoritairement contrôlés par des entreprises américaines ou alliées.
Dans leur lutte pour contenir la montée en puissance technologique de la Chine, les USA passent à un plus gros calibre. Après avoir vitrifié les ambitions de Huawei dans les puces en le privant des usines taïwanaises de TSMC, après avoir banni tout export des précieuses machines néerlandaises de gravure de puces de dernière génération, le gouvernement américain utilise une nouvelle arme : les logiciels de conception de processeurs. Et après avoir « traité » Huawei, les USA ciblent un nouveau champion technologique. Pas un vendeur de smartphones cette fois, mais une entreprise appelée Loongson, qui est pressentie pour pouvoir faire monter en puissance l’indépendance du pays dans le domaine des CPU. Et qui a été placée sur une liste noire, ce qui lui interdit l’accès à des technologies américaines.
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Cette entreprise, nous vous en avions déjà parlé en 2021, dans le cadre du lancement de son processeur. Conçue sur les cendres d’une microarchitecture défunte appelée MIPS, LoongArch est une forme de menace pour les USA, car elle ne dépend ni du x86 d’Intel, ni de l’anglais ARM. Et puisqu’elle est propriétaire et fermée, au contraire de RISC-V, les documents à son sujet sont rares. Ce qui gêne les USA dans le sujet ? Laisser Loongson monter en puissance pourrait officiellement permettre à la Chine de disposer de puces hautes performances pour développer des armes. Et officieusement, laisser grandir un potentiel concurrent d’Intel et AMD pourrait remettre en cause la domination US sur les processeurs de PC.
L’outil de coercition américain, vous n’en avez peut-être jamais entendu parler. Et c’est pourtant une arme quasi « atomique » dans la conception des processeurs de pointe.
Les logiciels EDA, l’autre brique fondamentale contrôlée par les USA
Si le monde des semi-conducteurs est pluriel avec, notamment, la production des puces centrée vers l’Asie, les USA ont des outils de contrôle. Ils ont la maîtrise de certaines microarchitectures, peuvent compter sur leur poids géopolitique pour faire plier leurs partenaires (ARM au Royaume-Uni, ASML aux Pays-Bas, etc.) grâce au poids de leurs brevets. Mais ils ont aussi le contrôle quasi-total d’un élément trop souvent passé sous silence, mais central : les logiciels d’Electronic design automation dits « EDA » (Conception assistée par ordinateur pour l’électronique en français).
Loin d’être des accessoires dans la production de puce, les logiciels EDA sont absolument incontournables. C’est leur puissance qui rend possible la conception de puces toujours plus complexes intégrant désormais plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de transistors. Ce sont eux qui permettent aux Intel, Qualcomm et autre Apple de concevoir des SoC, ces « super » puces intégrant des processeurs logiques très différents (CPU, GPU, NPU, ISP, etc.) qu’il faut interconnecter avec des circuits à l’échelle du milliardième de mètre. Si le marché des logiciels EDA est fragmenté en plusieurs acteurs qui se partagent en 2023 un gâteau de 12 milliards de dollars, un simple de coup d’œil sur les grands noms du secteur – Synopsys, Cadence, Keysight, Ansys, etc. – permet de comprendre que les USA dominent outrageusement. Et quand les logiciels ne sont pas américains, ils sont allemands, britanniques, français ou japonais, tous des alliés dans la sphère d’influence des USA.
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Vous l’avez compris : avec ses mécanismes légaux de blocage à l’export des technologies sensibles, le gouvernement américain a dans sa poche une puissante arme pour entraver les progrès de l’entreprise chinoise. Et ce à plusieurs titres : en matière de développement, en bloquant les licences de conception de Loongson. Mais aussi en bloquant l’usage de ces licences chez les fabricants. En effet, non seulement ces logiciels sont utilisés du côté de la conception – le dessin – des puces, mais ils sont interconnectés aux machines des producteurs de puces. Ainsi, le chinois SMIC, qui fabrique les puces pour Loongson, pourrait se voir privé de licence pour travailler avec son partenaire. Le bras des USA est donc très long en matière de production de puces. Pour protéger et maîtriser le marché avec ses propres champions – il faut bien l’admettre. Mais aussi pour des raisons de sécurité.
Le développement d’armes, un argument réaliste
Quand vous concevez un processeur, vous vous basez sur des jeux d’instructions (on parle de l’ISA ou de l’IP dans le jargon) qui sont fonction de la structure dans l’espace des circuits. Si les concepteurs de microarchitectures ajoutent régulièrement de nouvelles instructions, la structure fondamentale de leur fonctionnement est normée. Et les logiciels EDA doivent intégrer les spécifications de chaque ISA. La difficulté est ainsi double : pour concevoir une puce, il faut des logiciels EDA qui soient adaptés – ou adaptables – à votre ISA. Etant donné que LoongArch est basé initialement sur une microarchitecture appelée MIPS 64, les logiciels américains ont permis à Loongson de continuer le développement de sa microarchitecture. Et ainsi de donner à la Chine une lignée de processeurs sur laquelle les Américains n’ont aucune vision, ni aucun contrôle.
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C’est cette absence de contrôle qui effraie les USA. Sans doute avec raison. Car si le pays de l’Oncle Sam est souvent suspecté de pousser des cris d’orfraie de manière injustifiée – rappelez-vous des scandales autour des armes de destruction massives ou de l’anthrax –, les questions technologiques soulevées ici semblent fondées. En effet, les « révolutions » technologiques qu’apporte le théâtre ukrainien (artillerie assistée par des drones civils, drones kamikazes à bas coûts, missiles à longue portée type HiMars, etc.) ont mis en lumière l’importance des composants électroniques de nouvelle génération.
Dans ce domaine, l’usage de technologies américaines par l’armée chinoise n’est pas un mensonge. Car il y a des précédents : en octobre dernier, le Washington Post révélait que les missiles hypersoniques développés par l’armée populaire de Chine l’avaient été en partie grâce aux technologies et logiciels d’entreprises américaines… Comme ceux d’Ansys, entreprise du Top 5 mondial des EDA !
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Si Loongson a promis ne pas développer de puces à usage militaire – ce qui est vrai dans les faits, les CPU étant destinés pour les PC de bureau –, il n’est absolument pas impossible que certaines de ces puces puissent être intégrées à des armes a posteriori. Et il se pourrait aussi que Loongson développe des puces en douce, ou transfère sous licence son architecture à une entreprise tierce… Qui, elle, s’appuierait sur ses travaux pour développer des puces très puissantes à même d’intégrer missiles et autres équipements létaux. Ce qui reste difficile à faire pour les industriels de l’armement chinois, nombre de puces très puissantes étant hors de leur portée, comme certaines puces programmables de type FPGA de chez Xilinx (AMD), certains Xeon d’Intel ou encore les H100 de Nvidia.
Et comme le montre les feuilles de route consécutives de Loongson, la puissance de ses puces progresse régulièrement. Les USA veulent donc y mettre un terme. Et Loongson pourrait se retrouver sans alternative.
La Chine n’est pas encore au niveau (et les outils open-source non plus)
En dépit des Cassandre qui ne cessent de dire que la Chine a des années d’avance, la réalité technologique est qu’elle est pour l’heure incapable de développer ses propres steppers de gravure de puce – même DUV (moins perfectionnés que les EUV). Et qu’elle n’a toujours pas d’écosystème logiciel pour concevoir des puces de A à Z. Une prouesse que seuls les Américains peuvent réaliser, tant du point de vue des ISA, que des EDA.
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Il existe bien des logiciels open-source, mais ils ne sont absolument pas au niveau des logiciels de Cadence ou Synopsis. S’il semble évident que l’écosystème chinois des semi-conducteurs développe petit à petit différentes briques de la chaîne de développement de production, des machines aux logiciels, les USA mettent ici un énième bâton dans les roues du développement technologique de l’Empire du milieu. Un choix géopolitique qui a cependant un double tranchant : s’il bloque bien les champions chinois, il les stimule à investir massivement dans leur indépendance technologique. Cela a un coût pour la Chine – temporel (retards) et financier – mais cela a aussi un impact économique négatif sur les entreprises américaines, qui perdent des clients. Et des millions, voire des milliards de dollars. Se priver de sources de revenus d’un adversaireest aussi un des aspects de la fameuse « économie de guerre ».
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